Un manifestant à Édimbourg : “Le racisme ordinaire, je le vis tous les jours. Ça commence dès le matin dans le bus”
Malgré les recommandations du gouvernement écossais, des centaines de manifestants se sont regroupés dimanche 7 juin à Édimbourg pour protester contre le racisme.
Les jeunes, craignant moins le virus, étaient en majorité à la manifestation. Crédit : Lou-Eve Popper
Nicola Sturgeon, la Première ministre écossaise, l’avait pourtant encore répété la veille : “Je veux vous exhorter à faire entendre votre voix. Nous nous sentons tous très concernés par ce qui arrive mais s’il vous plaît, faites-le de manière prudente. Participer à des rassemblements de masse en ce moment n’est tout simplement pas sûr. Cela pose un réel risque pour la santé et pour la vie”. Mais rien n’y a fait.
En effet, dimanche 7 juin, des centaines de personnes se sont regroupées à Édimbourg pour protester contre les violences racistes, deux semaines après le meurtre de George Floyd par un policier aux États-Unis. La foule, masquée et gantée, souvent habillée de noir, s’était donnée rendez-vous à Holyrood Park, près de la résidence royale. Un espace ouvert, où la distanciation sociale a pu être relativement respectée. “De toute façon, même si les autorités l’avaient interdite, la manifestation aurait quand même eu lieu”, estime Jordan, une Américaine de 25 ans travaillant dans le marketing et présente dimanche.
Naomi et Jordan, colocataires et meilleures amies, se sont rendues à la manifestation ensemble. Crédit : Lou-Eve Popper
Beaucoup de participants ont en effet bravé les recommandations du gouvernement écossais, estimant que l’enjeu était trop fondamental pour rester chez soi : “C’est un problème de long terme, plus important que le coronavirus”, estime Chloe, une jeune Écossaise de 17 ans. Pour certains, se rendre à la manifestation a cependant posé un problème de conscience : “C’était une décision compliquée, j’ai fait mon choix au dernier moment. Je discute pas mal de ce sujet en ligne mais j’ai pensé que c’était quand même important que je sois présente aujourd’hui”, explique Helen, une environnementaliste de 31 ans.
Ce jour-là, l’essentiel de la foule est regroupé autour d’une scène où plusieurs participants défilent au micro. L’un d’entre eux, le chanteur écossais Joseph Malik, prend la parole : “Votre appareil photo est un allié et une arme contre le racisme. Si vous êtes attaqués, sortez votre téléphone”,, explique-t-il. Tout autour de lui, la foule scande des slogans anti-racistes, lesquels partent du centre de la pelouse pour se répercuter jusque sur les flancs de la montagne Arthur’s Seat, où la foule, éparse, est assise en petits groupes.
Beaucoup de jeunes blancs étaient présents à la manifestation. Crédit : Lou-Eve Popper
Pour certains manifestants, ce rassemblement est un moment très émouvant : “J’ai pleuré, explique Naomi, une Anglaise de 24 ans, arrivée en Écosse pour ses études en 2014. C’est rassurant de voir autant de Blancs aujourd’hui”. Regina, une comptable ghanéenne de 53 ans, installée en Écosse depuis 30 ans, y voit même le signe d’un changement : “Quelque chose est en train de basculer. Je me souviens qu’à la mort de Rodney King, c’était surtout la communauté noire qui s’était fait entendre. À l’époque, les Blancs n’osaient pas s’exprimer sur la question, ils étaient dans une posture défensive, avaient peur d’être pointés du doigt. Aujourd’hui, c’est différent”. Sa fille, Kirsty, 24 ans, travailleuse sociale, tempère néanmoins : “Il y a toujours des gens qui, face au mouvement Black Lives Matter, nous disent : ‘et les vies des autres alors ?’. Et il faut leur expliquer que, bien sûr, toutes les vies comptent mais que la vie des Noirs est la cible d’attaques racistes depuis des années”.
Regina, une Ghanéenne installée en Écosse depuis 30 ans, est venue avec sa fille Kirsty, 24 ans. Crédit : Lou-Eve Popper
Ce dimanche 7 juin, plusieurs pancartes laissent cependant croire à un changement d’état d’esprit. Plusieurs d’entre elles, affichant “Le UK n’est pas innocent”, sont ainsi brandies par des manifestants blancs. Chez les jeunes surtout, la prise de conscience semble bien ancrée : “Je crois que le Royaume-Uni a un complexe de supériorité. Nous ne voulons pas réaliser que cela arrive également ici” estime Mary, une Écossaise de 16 ans.
Pourtant, le racisme est bien réel, même en Écosse. Entre 2013 et 2014, 4807 incidents racistes avaient été rapportés, soit 92 par semaine. “Je crois que le racisme est moins visible ici car la communauté noire est moins nombreuse mais il est tout aussi virulent”, estime Régina. Daniel, un Ghanéen travaillant dans une banque et arrivé en Écosse il y a dix ans, peut en témoigner : “D’une certaine façon, je pense que c’est encore pire ici qu’en Angleterre car la population est moins cosmopolite. En Écosse, les gens ne sont pas habitués à vivre avec des Noirs. Le racisme ordinaire, je le vis tous les jours et ça commence dès le matin dans le bus, quand les gens évitent de s’assoir à côté de moi”. Et sur son lieu de travail, la situation est tout aussi dramatique : “Je suis le seul Noir à mon étage. Les gens me demandent constamment ce que je fais là, ce qui m’a amené ici. On nous demande de travailler plus dur que les autres, comme si c’était la condition pour être accepté”, explique-t-il.
Pour lui, la question de l’après est cruciale : “Se regrouper aujourd’hui, c’est bien mais que faire une fois de retour chez nous ? On devrait organiser des manifestations comme celle-là régulièrement, tous les trois mois par exemple”. Et le risque de contagion ? “Je pense que sur le long terme, le racisme fera plus de morts que le coronavirus. C’est une autre forme de pandémie”, assène-t-il.
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