Dans un monde post-apocalyptique, les kebabs d’Édimbourg toujours en vie

Printemps 2020 à Édimbourg. Tous les restaurants sont fermés. Tous ? Non ! Un petit groupe de kebabs résiste encore et toujours au confinement en réalisant des plats à emporter et des livraisons. Principalement pour survivre face à la crise.

Kasbah, un kebab situé dans la quartier étudiant de Marchmont, n’a jamais cessé de fonctionner. Crédit : David Purvis.

C’était fin mars. Après une semaine de tergiversations, le gouvernement de Westminster venait enfin d’annoncer le confinement de la population britannique. En quelques jours, Édimbourg, à l’instar de bon nombre de métropoles dans le monde, s’était transformée en ville fantôme. Cinémas, pubs, cafés, restaurants, théâtres, musées, tout avait fermé dans le but d’endiguer la pandémie. Les rues de la capitale écossaise étaient soudainement devenues désertes et un silence assourdissant s’était abattu sur le centre-ville, habituellement bondé de touristes.

Dans cette ambiance de fin du monde, seules quelques enseignes brillaient encore d’une faible lueur : celles des kebabs. En me promenant dans la ville ce mercredi 25 mars, je n’avais pas pu m’empêcher de trouver que ces échoppes ouvertes, qu’en temps normal personne ne prenait vraiment la peine de regarder, avaient quelque chose d’aussi surréaliste que réconfortant. Pourquoi, alors que tout le monde avait baissé le rideau, persistait-elles à fonctionner ? J’étais allée leur demander directement.

DES KEBABS DANS L’IMPOSSIBILITÉ DE FERMER

Une précision tout d’abord : les kebabs et autres pizzerias avaient bel et bien le droit de continuer leurs activités tant qu’ils effectuaient de la vente à emporter et des livraisons. C’est en tout cas ce que m’avait expliqué le patron de Che, un kebab situé dans la vieille ville d’Édimbourg, près des night-clubs : « Comme nous sommes des petits commerces et que nous faisons du takeaway, nous avons échappé aux mesures du gouvernement ». Distanciation oblige, personne, cependant, n’avait le droit de demeurer à l’intérieur pour déguster un grec dégoulinant de sauce piquante. Les rares clients attrapaient leurs sacs de nourriture avant de repartir aussitôt.

À l’époque, Westminster avait annoncé des fonds entre 10 000 et 25 000 livres pour aider les entreprises du secteur de la restauration à surmonter la crise. Ces dernières pourraient commencer à candidater dans les jours à venir. Aucun délai n’avait en revanche été précisé quant à la date de versement du paiement, mettant en péril la trésorerie de toutes ces petites enseignes. Les traits soucieux, le patron de Che m’avait expliqué attendre anxieusement les subventions gouvernementales : «Tant que nous pourrons rester ouverts, nous le ferons, nous n’avons pas vraiment le choix. Cinq familles dépendent de ce commerce ».

La veille, seuls six clients avaient passé la porte du magasin. Mieux valait donc grappiller quelques ventes par jour plutôt que rien du tout. Pour assurer la distance sociale, le restaurant avait décidé que seul un employé serait autorisé à venir travailler et uniquement quatre heures consécutives. Les horaires aussi étaient réduits, le kebab fermant désormais à minuit au lieu de 2 h du matin.

RESTEr OUVERTS MALGRÉ LA PRESSION SOCIALE

Chez Kasbah, un kebab situé dans le quartier étudiant de Marchmont, le patron était lui aussi sceptique quant aux aides gouvernementales. « Nous n’avons aucune nouvelle des pouvoirs publics, rien n’est officiel. Nous devons continuer à travailler parce que tout le monde est inquiet ici. Comment allons-nous faire pour payer nos prêts ? », m’avait-il dit en mars. À l’époque, les livraisons étaient devenues si rares que le patron se chargeait de les faire lui-même.

Sans doute le fait de rester ouvert, bien qu’autorisé, n’était-il pas très bien vu des autorités, ni même des habitants du quartier. En tout cas, lorsque j’avais expliqué mon souhait d’écrire un article sur le sujet, le patron de Kasbah m’avait regardée d’un air suspicieux. J’avais dû montrer ma carte de presse pour qu’il se détende enfin. Dans un autre kebab de la ville, Pomegranate, l’un des employés (peut-être le patron ?), m’avait même demandé de quitter le restaurant sur le champ en me lançant des regards noirs. Ambiance…

À l’époque, la pression était telle que certains avaient finalement prévu de fermer. Comme Clamshell, un kebab situé sur le Royal Mile, l’une des artères principales de la ville. Inquiet pour ses employés comme pour ses clients, le patron avait au départ décidé de mettre en place de strictes mesures de distanciation sociale. L’accès au comptoir du restaurant était bloqué et les clients ne pouvaient récupérer leurs commandes que sur les tables disposées à l’entrée du magasin. Mais ces résolutions n’avaient pas suffit à endiguer l’angoisse croissante. « Pour des raisons d’hygiène, on ne peut pas continuer comme ça. Nous espérons que nous allons pouvoir payer les 80 % des salaires de nos employés grâce au système de chômage partiel. Pour le moment, nous ne savons rien » m’avait-il confié.

Une reprise hypothétique

Deux mois plus tard, lundi 25 mai, les kebabs de la ville se portent un peu mieux. Chez Kasbah, on a enfin reçu les subventions étatiques, six semaines après les annonces du gouvernement. Même chose chez Clamshell, qui, après cinq semaines d’interruption, a fini par ré-ouvrir : « Nous ne pouvions plus rester fermés plus longtemps, financièrement il fallait que le business redémarre ».

Mais les restaurateurs restent très soucieux. À Kasbah, le patron soupire : « Avec le Ramadan qui s’achève, nous aurions dû être surchargés de travail. Mais en ce moment, il n’y a personne. Les gens ne viennent même pas prendre leurs repas à emporter, nous faisons essentiellement des livraisons ». Résultat, le nombre d’employés a été divisé par deux, passant de huit à quatre. Quant au patron de Clamshell, il ne se fait pas d’illusions. « Pour le moment, nous n’avons quasiment pas de clients et encore, le plus dur reste à venir… ». Le gouvernement de Boris Johnson a annoncé il y a quelques jours que les étrangers arrivant sur le sol britannique devraient se soumettre à la quatorzaine. De quoi doucher les derniers espoirs des kebabs de se refaire une santé financière grâce à l’arrivée des touristes.

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