Au Royaume-Uni, les travailleurs précaires durement frappés par la crise

Malgré le plan de sauvetage des emplois prévu par le gouvernement britannique, des centaines de milliers de travailleurs indépendants ou ayant des contrats dits « zéro-heure » demeurent aujourd’hui dans des situations de grande précarité.

En Écosse, les contrats “zéro-heure” sont 70 000. Photo : Cams Campbell on Unsplash

Quand Rishi Sunak, le nouveau ministre des Finances britannique, a annoncé vendredi 20 mars les mesures destinées à protéger les emplois, chacun a poussé un soupir de soulagement. Grâce à son fameux « Coronavirus Job Retention Scheme », toutes les entreprises le demandant allaient enfin pouvoir bénéficier d’une aide financière de l’État afin de continuer à payer leurs employés malgré l’arrêt de leur activité. Jusqu’à 80 % des salaires seraient pris en charge pendant trois mois, et ce jusqu’à hauteur de 2500 livres par mois. Il s’agissait de mettre en œuvre une sorte de système de chômage partiel à grande échelle. Du jamais vu en termes de dépenses publiques, surtout pour un gouvernement conservateur. Comme le chancelier de l’Échiquier l’a lui-même précisé : « Les actions que j’entreprends aujourd’hui représentent une intervention économique sans précédent pour soutenir les emplois et les salaires des Britanniques ».

Quelques jours auparavant, le gouvernement de Boris Johnson avait déjà largement desserré les cordons de la bourse. Lors de la présentation du budget britannique le 11 mars, Rishi Sunak avait annoncé qu’il augmenterait les dépenses de 200 milliards d’euros sur les cinq années à venir, mettant ainsi fin à près d’une décennie d’austérité. Et la crise du coronavirus a fini de transformer le gouvernement britannique en force de frappe keynésienne.

Cependant, les 33 millions de travailleurs britanniques n’ont pas tous bénéficié des largesses étatiques. Certes, les mesures du gouvernement ont sans doute permis de mettre à l’abri des millions d’employés bénéficiant de contrats de travail stables. Malheureusement, le plan de sauvetage de Rishi Sunak a laissé sur le carreau des centaines de milliers de travailleurs fragiles.

LES CONTRATS ZÉRO HEURE PARTICULIÈREMENT EXPOSÉS

A commencer par de très nombreux contrats « zéro-heure », ces salariés sans durée minimum de travail et à disposition de l’employeur. Au nombre 900 000 au Royaume-Uni, dont 70 000 en Écosse, ces précaires, le plus souvent des femmes, sont majoritairement employés dans le secteur de la restauration et de l’hôtellerie. Le principe de leur contrat de travail est le suivant : on vous appelle quand on a besoin de vous. Et dès lors que vous n’êtes plus utile à l’entreprise, on vous jette. Ce dont ne se sont pas privés de nombreux patrons britanniques, peu enclins à faire les démarches administratives afin de continuer à rémunérer leurs employés, malgré la fermeture de leurs établissements.

Valentina Christoforidi, une jeune femme grecque de 32 ans, peut en témoigner. Depuis novembre 2019, cette habitante d’Édimbourg travaillait en parallèle de ses études comme serveuse pour Elior, une entreprise de restauration. Jusqu’au 11 mars dernier, date à laquelle l’entreprise a brutalement cessé de l’appeler, ses horaires variaient entre 5 et 22 h par semaine. Lorsque Valentina a finalement demandé à sa direction si elle pouvait continuer d’être payée via les aides gouvernementales, on lui a répondu que le plan de sauvetage ne s’appliquait pas aux travailleurs occasionnels. Une affirmation parfaitement fausse.

Car les contrats zéro-heure sont bien éligibles au « Coronavirus Job Retention Scheme ». Le Trade Union Congress (TUC), l’organisation syndicale britannique, l’a d’ailleurs certifié sur son site : tout travailleur, dès lors qu’il reçoit une bulletin de salaire et honore ses cotisations sociales, est considéré comme un employé et peut, à ce titre, être mis au chômage partiel, ce qui est le cas de Valentina. Et cela vaut pour toutes les personnes ayant commencé à travailler avant le 19 mars 2020. D’après les nouvelles directives du gouvernement, même les travailleurs en poste à la date du 28 février et ayant quitté leur emploi avant le 19 mars, peuvent se faire ré-embaucher par leur ancienne entreprise afin de réclamer les 80 % de leur salaire. Malheureusement, cela dépend uniquement de la bonne volonté de l’employeur…

« Je vais devoir déménager, je ne peux plus payer mon loyer de 700 livres »

Lorenzo Luzzani, un chef cuistot italien de 40 ans, en sait quelque chose. Ce dernier a quitté son emploi au sein du restaurant de la Scottish National Gallery of Modern Art le 11 mars et s’apprêtait à démarrer un nouveau travail ailleurs lorsque le confinement a été annoncé. Se trouvant sans revenus, Lorenzo a tenté plusieurs fois de se faire ré-embaucher par son ancienne entreprise mais n’a jamais reçu aucune réponse de sa part. Depuis, l’ancien chef est parvenu à retrouver un travail chez Tesco, l’une des plus grandes chaînes de supermarchés du pays, où il fabrique du pain 16 heures par semaine. Depuis fin avril, il touche aussi le « universal credit », sorte d’allocation universelle unique de 410 livres (469 euros) par mois. Des revenus tout à fait insuffisants lorsqu’on vit à Édimbourg : « Je vais devoir déménager, je ne peux plus payer mon loyer de 700 livres » soupire-t-il.

Comme lui, de nombreux contrats zéro-heure ont été ainsi plongés dans une situation de grande précarité. Devant leurs appels au secours, l’organisation Zero Hours Justice a publié vendredi 1er mai une lettre ouverte dans le quotidien The Guardian, adjurant les patrons de se montrer responsables.

LE paiement des salaires TOUJOURS EN ATTENTE

Bon nombre d’employeurs, plus compatissant que d’autres, ont bien fait les démarches auprès du gouvernement pour percevoir les aides. La preuve, dans le secteur de la restauration et l’hôtellerie, 80 % des entreprises ont mis au chômage partiel leurs employés. Problème, alors que les annonces de Rishi Sunak datent maintenant de sept semaines, le paiement n’est pas toujours pas arrivé. Et les travailleurs sont toujours sans ressources. C’est le cas de Jessica Hamilton, une jeune femme de 23 ans originaire d’Irlande du Nord. Avant la crise, cette dernière travaillait une quinzaine d’heures par semaine en tant que professeure d’anglais dans une école de langues d’Édimbourg. Avec le confinement, l’école a promis qu’elle paierait ses contrats zéro-heure via les aides gouvernementales. « Pour le moment, ils n’ont pas réussi à recevoir la subvention étatique. Ils disent que tout va bien finir par arriver. Je suis sceptique », raconte Jessica. En mars, la jeune femme s’est retrouvée dans l’impossibilité de payer son loyer et est depuis retournée vivre chez ses parents en Irlande. 

Pour les travailleurs ayant déjà été payés, l’addition est néanmoins salée. Car dans la restauration, une bonne partie du salaire repose sur les pourboires. Or, sans surprise, les 80 % du salaire prévus par le gouvernement se basent sur la feuille de paie uniquement. Maxime Magnien, un Français de 23 ans installé à Édimbourg, peut en attester. Travaillant chez Rabble, un restaurant du quartier huppé d’Édimbourg, ce dernier touchait près de 1800 livres par mois, dont 600 en pourboires. Via le « Coronavirus Job Retention Scheme », Maxime voit donc son salaire divisé par deux. « Mon loyer est de 600 livres. Heureusement, je suis bénéficiaire d’une bourse universitaire de 800 livres par mois ».

Les travailleurs indépendants en Écosse habitent pour un quart d’entre eux à Glasglow. Photo : Artur Kraft on Unsplash

indemnisation des INDÉPENDANTS : pas avant JUIN

L’autre grande catégorie des victimes économiques du coronavirus est celle formée par les quelques 5 millions de travailleurs indépendants britanniques, dont 330 000 en Écosse. Au départ, rien n’avait été annoncé pour aider ces travailleurs pauvres, dont plus de la moitié gagne moins que le salaire minimum. Devant la pression croissante de l’opposition et des syndicats, Rishi Sunak a finalement annoncé pour eux un second plan de sauvetage.

Comme les employés, les travailleurs indépendants pourront eux aussi bénéficier d’une aide gouvernementale couvrant jusqu’à 80 % de leurs revenus mensuels, jusqu’à une limite de 2500 livres par mois et ce pendant trois mois. Problème : cette aide financière ne sera délivrée au plus tôt qu’au début du mois de juin ! Un pari très risqué, dans la mesure où, à cause de la crise, près de 45 % des indépendants ont déclaré qu’ils allaient probablement être dans l’impossibilité de payer leurs factures ou leur loyer.

“Je n’aurai aucune rentrée d’argent dans les semaines à venir”                                   

Pour Laura Rende par exemple, ce délai est un désastre. La jeune femme travaille en tant que free-lance dans le soin auprès des chats (gardes et consultations en cas de comportement problématique). Se décrivant comme une personne « vulnérable », Laura a cessé, dès la propagation de la pandémie, de sortir de chez elle. Ne pouvant plus se rendre chez ses clients, ses revenus se sont effondrés : « Je n’aurai aucune rentrée d’argent dans les semaines à venir, à moins que je ne fasse des consultations par Skype à moitié prix mais je ne suis vraiment pas fan de l’idée. Généralement, le résultat est très moyen ». Seule possibilité pour la jeune femme, tenter de recevoir le « universal credit », une allocation qui, pour les indépendants, équivaut à l’indemnité légale de maladie, soit 94,25 livres par semaine (108 euros).

150 000 INDÉPENDANTS exclus du plan de sauvetage

Autre problème majeur : le gouvernement britannique a décidé d’exclure de son plan de sauvetage toute une partie des travailleurs indépendants. Comment ? Par un tour de passe-passe assez technique. Westminster a en effet choisi de rémunérer les indépendants en fonction de leurs revenus déclarés… avant 2019. Une façon à peine masquée, pour l’État, de se prémunir des fraudes. Car au Royaume-Uni, les travailleurs indépendants sont, chaque année, tenus de déclarer leurs revenus en avril. Avec la crise, certains d’entre eux auraient donc pu être tentés de gonfler leurs revenus au moment de leur déclaration de 2020. Cette suspicion du gouvernement a cependant eu pour conséquence de priver de soutien financier les 150 000 personnes ayant débuté leur activité après avril 2019. Sans compter que Rishi Sunak a ajouté des règles éliminatoires : seuls les travailleurs dont l’activité de free-lance représentait à l’époque plus de 50 % de leurs ressources, pourront avoir accès à ces aides.

« Tous mes voyages en tant que guide ont été annulés jusqu’en septembre, ce qui équivaut à des milliers de livres de pertes »

À cause de ce système faussement généreux, Sarah, une jeune française de 30 ans, devenue guide touristique à Édimbourg, se retrouve aujourd’hui sans ressources. Cette dernière a bien débuté son activité d’auto-entrepreneur en octobre 2017. Problème, elle ne gagnait alors, à ce titre, pas suffisamment. « J’étais essentiellement salariée à temps complet et ne touchais, en tant qu’auto-entrepreneur, qu’une mince rémunération via mon site internet et quelques visites guidées. Mon activité de free-lance était donc loin de représenter 50 % de mes revenus ». Son activité de guide touristique à son compte n’a vraiment débuté qu’au printemps 2019 et s’est poursuivie jusqu’en mars dernier. « Malheureusement, ce sont ces revenus-là que le gouvernement ne veut pas prendre en compte pour le calcul des indemnités ».

Pour Sarah, la crise liée au coronavirus est pourtant une catastrophe : « Tous mes voyages en tant que guide ont été annulés jusqu’en septembre, ce qui équivaut à des milliers de livres de pertes ». Pour le moment, la jeune femme vit essentiellement sur l’argent qu’elle a mis de côté pour ses impôts, qu’elle doit financer au plus tard en janvier 2021. Grâce à son ancien emploi salarié, elle a pu demander la « Job Seeker Allowance », une maigre allocation chômage d’environ 70 livres (80 euros) par semaine.

Comble de malchance, Sarah n’a même pas pu bénéficier de la bourse de 2000 livres allouée par le gouvernement écossais pour aider les nouveaux travailleurs indépendants. Pour la percevoir, il faut avoir démarré son activité de free-lance après avril 2019 or Sarah, rappelez-vous, s’est déclarée pour la toute première fois comme travailleuse indépendante en octobre 2017. « Dommage. Cette bourse m’aurait permise de mettre du beurre dans les épinards. Ou des épinards tout court. » 

Note : Une partie de cet article a été traduite en anglais par l’association Zero Hours Justice. Vous pouvez le retrouver ici.

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